Francis Scott Fitzgerald : une certaine grandeur épique

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Francis Scott Fitzgerald : une certaine grandeur épique Details

En mars 1920, quand il publie son premier roman, L'Envers du Paradis, F. Scott Fitzgerald est un petit-bourgeois du Minnesota qui se prend pour un héros stendhalien : il rêve à la gloire. Et au galop ! A défaut d'avoir participé à la Première Guerre mondiale et à l'Histoire, il en conserve le tempo. Commence une vie à la déboulée : il épouse Zelda Zayre, l'égérie la plus excentrique de la littérature, s'embarque pour l'Europe, découvre un Paris de villégiature, une Riviera au profil de Bugatti qui ressemble à un gigantesque raout où se mêlent folie et saouleries, aubes et crépuscules, névroses et travail. La vocation de Fitzgerald : celle de l'ange damné. Il dresse le portrait d'un héros romantique de son temps : Gatsby le Magnifique. Surgit la crise de 1929 avec ses bouleversements, ses affolements et ses ruines. F. Scott Fitzgerald publie Tendre est la nuit, La Fêlure. Sa vie devient un purgatoire : Zelda est internée dans un asile, il écrit des scénarios à la chaîne pour Hollywood. On ne le reconnaît plus. Il meurt le 21 décembre 1940 d'une crise cardiaque. Un destin de larmes, de gin et de sang offert à l'honneur de la littérature.

Reviews

Outre Atlantique, la biographie de F.S. Fitzgerald fait l'objet d'une discipline à part entière ; différents courants la traversent, qui sont autant de lectures de la tragédie que fut la vie de l'écrivain : les partisans de Scott font de lui le plus talentueux auteur de sa génération, et Zelda est rendue responsable de ses inconséquences ; les défenseurs de cette dernière (Kendall Taylor en première ligne) estiment qu'elle fut cannibalisée par son mari, et cherchent à la présenter comme une collaboratrice à part entière. La biographie réalisée par Matthew Bruccoli, professeur d'anglais à l'université de Caroline du Sud et auteur d'une vingtaine d'ouvrages sur F.S. Fitzgerald, est généralement considérée comme la biographie de référence ; c'est autour d'elle que s'organise la "discipline" et se déploient ses courants. S'interdisant de romancer ou de donner libre cours à son intuition pour rendre le récit plus vivant ou combler les manques liés à l'absence de documentation fiable sur certaines périodes (ces manques sont très rares, F.S. Fitzgerald ayant conservé quantité d'archives au cours de sa vie), Bruccoli s'attache à y présenter « les faits, toujours plus de faits ».Avec une grande pudeur, mais sans dissimuler aucune vérité, il nous fait le récit de la déchéance de l'homme et de l'écrivain, rongé par l'alcool, ses frustrations, et son déclassement à Hollywood, usine à romanciers en déclin où l'on croise les ombres de Faulkner et Huxley... On est ému par le soutien sans faille de certains de ses proches, à commencer par l'agent Harold Ober, qui veilla sur sa fille Scottie et accepta de souscrire des avances alors même que Scott, endetté jusqu'au cou et saoul jusqu'à l'os, était devenu incapable de se soumettre à la moindre discipline et d'écrire une seule nouvelle vendable. Et, si l'on connaissait déjà la figure de l'écrivain mal dans sa peau, souvent puéril et que l'alcoolisme sans borne a pu rendre violent, on rencontre aussi, au fil des pages, un père et un mari dévoué, intelligent et sincère, capable d'une grande sagesse lors de ses rares moments de sobriété et fondamentalement bon (qui n'a-t-il pas essayé d'aider ?).Bruccoli ne cherche pas à intéresser le lecteur mais à (r)établir des faits: son récit est linéaire. Il n'est pourtant jamais monotone, et permet de débusquer bien des mythes. Sur les drôles de rapports que Scott entretenait avec Hemingway, entre autres. Mais, plus largement, les passages évoquant sa théorie de la littérature et sa méthode de travail devraient mettre définitivement fin à l'image d'Epinal d'un F.S. Fitzgerald étourdi de son talent, qu'il aurait laissé filer dans les vapeurs d'alcool et s'évanouir dans les éclats de rire tragicomiques de ses soirées parisiennes. Procédant « par accrétion », F.S. Fitzgerald rédigeait plusieurs centaines de fois une même scène, déplaçant les phrases d'une version à une autre, avant de relire le tout à voix haute pour en mesurer les cadences. Ne conservant au final qu'une infime partie de ce qu'il avait composé, il s'imposait parfois de « réécrire un passage dans l'inspiration » quand celui-ci avait fini par « être guindé à force d'être repris ». Comme il le dit dans un long (et beau) sermon désabusé adressé à sa fille : « le peu que j'ai réussi, je l'ai fait au prix du labeur le plus acharné et le plus pénible ».Les derniers mois de la vie de F.S. Fitzgerald semblaient indiquer la possibilité d'une renaissance : choqué par son propre comportement depuis qu'il avait menacé Sheilah Graham avec un revolver au cours d'une nuit d'ivresse, il n'avait plus touché à une goutte d'alcool et travaillait méthodiquement à un nouveau roman inspiré par la figure d'Irving Thalberg, le directeur de production des studios Universal. Il fut terrassé en plein vol par une occlusion de l'artère pulmonaire - comme l'un de ses « héros ». F.S. Fitzgerald ne se trompait pas quand il déclarait à sa fille que sa vie possédait une « certaine grandeur épique » - l'expression est d'ailleurs entrée dans la légende. Il fallait bien la biographie de Bruccoli pour venir nous rappeler combien le prix en fut élevé.NOTE : quelques coquilles entachent la présente édition, qu'il ne nous aurait pas déplu de voir enrichie de quelques photographies. Les extraits de Gatsby sont par ailleurs cités en anglais (du fait de problèmes liés aux droits d'auteur de la version française, en cours de retraduction lors de la parution du présent ouvrage).