L'An Mil

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L'An Mil Details

? l'An Mil romantique, antithèse apocalyptique de la Renaissance, l'école historique française oppose un An Mil appelé à devenir classique : tournant majeur où s'opère, dans l'attente de la fin du monde, le passage d'une religion rituelle et liturgique à un christianisme d'action. Richer, Gerbert, Helgaud, Adémar de Chabannes et Raoul Glaber ne sont ici traités qu'en témoins d'une conversion psychologique et mentale. De Charlemagne et Cluny aux pèlerins de Saint-Jacques et du Saint-Sépulcre, aux croisés bientôt : temps d'espoir et de crainte, millénaire de l'incarnation que les contemporains vécurent comme la promesse d'une nouvelle Alliance, un nouveau printemps du monde.

Reviews

Georges Duby, médiéviste au talent de conteur si puissant (cf. par exemple Guillaume le Maréchal, ou, Le meilleur chevalier du monde,Le Dimanche de Bouvines, 27 juillet 1214), nous livre un travail scientifique sur l'an Mil. Comme de nombreuses images faussement attribuées au Moyen-âge, celle de la terreur stupide inspirée de l'an Mil est des plus coriaces."Et c'est bien, en fait, à la fin du XV° siècle, dans les triomphes du nouvel humanisme, qu'apparaît la première description connue des terreurs de l'An Mil. Elle répond au mépris que professait la jeune culture d'Occident à l'égard des siècles sombres et frustes dont elle sortait, qu'elle reniait pour regarder, par-delà ce gouffre barbare, vers l'Antiquité, son modèle. Au centre des ténèbres, l'An Mil, antithèse de la Renaissance, offrait le spectacle de la mort et de la prosternation stupide." (p.11-12).Georges Duby nous livre les écrits de cette époque en nous les mettant en perspective. Rien de plus important en effet que de bien comprendre le mental de ceux qui relatent les événements de la quarantaine d'années entourant l'An Mil.L'historien relève que les seuls écrits que nous possédons sont ceux de moines. Ces derniers ne s'intéressent qu'aux événements majeurs, aux personnages majeurs. Rien après l'An Mil ne décrit les terreurs qui auraient été vécues à cette époque ; ce qui ne signifie pas qu'elles n'aient pas eu lieu - l'An Mil étant passé, le constat que la fin du monde n'était pas advenue, tout aurait été oublié. Tel n'est pas le cas.De quel millénaire s'agit-il en fait ? Du chapitre XX de l'Apocalypse, Satan fut, dit l'Evangéliste, enchaîné pour mille ans. Mille ans à compter de la naissance du Christ ou de sa Passion, 33 ans plus tard ? Satan relâché pouvait laisser entendre la venue de l'Antéchrist ou bien alors, tout étant organisé selon les desseins de Dieu (croyance de l'époque), Dieu lui-même enverrait des épreuves pour faire renaître une nouvelle humanité.Des famines dues aux inondations, les guerres, les maladies dont celle du "feu ardent" (cf. Histoire des peurs alimentaires : Du Moyen-âge à l'aube du XXe siècle) mais aussi les hérésies (essor du manichéisme) alimentèrent une anthropologie de la crainte. Revenir à la foi, penser son humanité face à Dieu par les pèlerinages, le développement et la consolidation des monastères (début de l'aura de Cluny), les ferments de la première Croisade vers le Saint Sépulcre à Jérusalem, traduisent des questionnements en profondeur de l'Homme face à sa destinée à laquelle participe le merveilleux."Dans l'histoire des attitudes mentales, où j'ai situé presque toutes mes remarques et en fonction de quoi tous ces textes ont été choisis et disposés, que signifie en vérité l'An Mil de l'incarnation et de la rédemption ? L'amorce d'un tournant majeur, le passage d'une religion rituelle et liturgique - celle de Charlemagne, celle encore de Cluny - à une religion d'action et qui s'incarne, celle des pèlerins de Rome, de Saint-Jacques et du Saint Sépulcre, celle bientôt des croisés. Au sein des terreurs et des fantasmes, une toute première perception de ce qu'est la dignité de l'homme. Ici, dans cette nuit, dans cette indigence tragique et dans cette sauvagerie, commencent, pour des siècles, les victoires de la pensée de l'Europe." (p.284)