Category: Livres,Romans et littérature,Littérature française
Dans le faisceau des vivants Details
Leur relation n'était pas seulement celle d'un romancier et de sa traductrice, c'était aussi celle de deux amis qui se parlaient sans cesse. De quoi parlaient-ils ? D'écriture, de langues, d'amour, d'animalité, d'enfance. De la terreur d'être traqué. Ils partageaient également quelques silences. Lorsqu'il disparaît en janvier 2018, la jeune femme ne peut se résoudre à perdre cette voix dont l'écho résonne si puissamment en elle. Après un temps de sidération, elle cherche à la retrouver, par tous les moyens. Sa quête la conduira jusqu'en Ukraine, à Czernowitz, la ville natale de l'écrivain. Il pourra alors prendre sa place, dans le faisceau des vivants.Aharon Appelfeld était l'un des grands écrivains de notre temps. Valérie Zenatti a traduit la plupart de ses livres, d' Histoire d'une vie (prix Médicis étranger 2004) jusqu'à Des jours d'une stupéfiante clarté, son dernier roman paru en France. Scénariste et écrivain, elle est l'auteure de livres destinés à la jeunesse (Une bouteille dans la mer de Gaza) et de plusieurs romans dont Jacob, Jacob (L'Olivier, 2014), couronné par le prix du Livre Inter et traduit dans quinze langues.
Reviews
Nous sommes à la veille du nouvel an 2018. Valérie Zenatti, comme chaque année , s??apprête à souhaiter la bonne année à son ami , l??écrivain et poète israélien Aharon Appelfeld dont elle est depuis plusieurs années déjà la traductrice. On lui répond que son ami est hospitalisé mais qu??il ne faut pas s??alarmer.Mais l??amie en elle pressent qu??il s??agit de quelque chose de beaucoup plus grave et elle décide de prendre l??avion pour aller le voir. C??est dans le taxi qui la mène à l??aéroport pour Tel - Aviv qu??elle apprend son décès? Cette nouvelle provoque un véritable choc à tel point qu??elle ne sait plus comment envisager la vie sans lui. Elle ressent alors un besoin impérieux de retourner dans la ville natale d??Appelfeld, Czernowitz, là où pour lui comme pour elle en tant que juive, tout a basculé?Revenir aux sources, c??est là tout le problème et toute la nécessité pour un homme dont l??enfance qui est le moment où, dit-il, l??être humain reçoit le monde dans sa totalité et qui assure notre fondement, ce moment aura été pour lui celui du déracinement et de l??expérience de l??anéantissement des siens avec la Shoah. S??enfermer dans le silence paraît être la meilleure alternative, le seul refuge pour rejoindre les disparus mais aussi pour tenter de guérir. Mais pour enfin sortir du silence dans lequel il s??est retiré après cette catastrophe, c??est tout naturellement vers l??hébreu qu??il se tourne et qu??il adopte cette langue comme langue maternelle puisqu??elle est la langue des premiers temps : celle qui nous renvoie à nos origines premières, aux voix de la Bible et qui nous relie aux questions existentielles. Cette renaissance peut s??opérer dans cette langue parce qu??elle n??est pas liée ni reliée à ce qu??il a vécu. Elle ne porte pas en elle les souffrances ni les traumatismes auxquels il a dû faire face. C??est la langue qui lui permet désormais de penser là où la langue maternelle, qui fut également celle de ses bourreaux, fut impuissante à cette époque à endiguer la haine qui déferla sur les Juifs et dont la langue fut mise au service de leur anéantissement. Aussi ne lui restait-il plus que le silence pour se relier au monde englouti dans lequel évoluait désormais les siens. Face à la tentation de se tourner vers l??avenir comme le suggère l??Etat d?? Israël, occupé à construire un homme nouveau, Appelfeld lui s??obstine à cultiver le souvenir car oublier serait cautionner le désir des bourreaux d??effacer à jamais l??existence de tout un peuple.Lui qui, de son vivant, n??a cessé d??écrire sur ce même sujet et pour qui la littérature a pour rôle de redonner un visage humain, une mobilité à ceux qui en avaient été dépossédés. Il manquait cependant ce retour vers la ville natale pour pouvoir exprimer en mots l??inexprimable et il fallait également le réaliser par l??intermédiaire d??une langue qui aurait été totalement étrangère à la langue de la tragédie. C??est donc l??amie, la traductrice, celle qui aura elle aussi été marquée par l??ombre de la Shoah durant son enfance, qui aura su saisir les rythmes, les intonations des romans d??Appefled, qui aura partagé avec lui une grande intimité et qui, de ce fait, pourra se charger de cette alchimie de pouvoir enfin mettre en mots ce qu??Aharon Appelfeld aura vécu. Une formidable réparation, une restauration de son être qui pourra de nouveau l??inscrire dans le faisceau des vivants.Peut-être cela sera-t-il le signe d??une libération pour ceux qui associèrent le fait que donner la vie après une telle tragédie et parler de la Shoah était synonyme de transmission de mort à leurs enfants et qu??il fallait donc observer le silence sur cette période. En replaçant les rescapés dans le faisceau des vivants, Valérie Zenatti leur offre la possibilité de se réapproprier une histoire dont ils avaient été privés, de se relier à leurs ancêtres eux qui vécurent dans la sensation de ne jamais pouvoir s??enraciner et de pouvoir également permettre aux générations suivantes de se libérer d??un passé pour accomplir enfin leur propre destinée.